Tous les acteurs mobilisés contre une méthode arbitraire

Sous couvert d’économies budgétaires, le ministère de la Santé prévoit de radier, dès 2026, plusieurs dispositifs médicaux de la liste en sus. Une décision unilatérale dénoncée par le Snitem, les professionnels de santé et les associations de patients, qui fustigent une concertation bâclée et l’absence d’analyse d’impact. Tous alertent sur les risques pour la qualité et la sécurité des soins, la liberté thérapeutique et l’accès à l’innovation.
Cet été, sous impulsion ministérielle et dans une logique d’économies purement comptables, les directions d’administration centrale ont repris les projets de radiation visant plusieurs catégories de dispositifs médicaux (DM) de la liste en sus, avec une date de mise en œuvre au 1er janvier 2026. Or, un moratoire, décidé en 2023 pour l’année 2024 et prolongé en 2025, devait permettre une refonte concertée des critères d’inscription et de radiation. Pendant deux ans et demi, le Snitem a réclamé l’engagement de ce travail de manière collective. Une demande restée sans réponse.
Un report pour laisser du temps aux entreprises
« C’est en juillet seulement que nous avons été sollicités à ce sujet et avons eu la surprise de découvrir qu’une liste de produits visés par une radiation était déjà établie¹, sans donnée chiffrée permettant d’évaluer les impacts potentiels pour les patients. Nous n’avons ensuite eu qu’un délai d’un mois pour répondre, en plein mois d’août », relate Aurélie Lavorel, responsable Accès au marché au sein du Snitem.
Un simulacre de consultation que de nombreux acteurs du secteur ont dénoncé via un courrier commun adressé au ministère en charge de la Santé². Ce qu’ils réclament ? « Le report des radiations au 1er janvier 2027, afin de disposer du temps nécessaire pour aboutir à des décisions éclairées et pertinentes », explique Brigitte Congard-Chassol, directrice des Affaires médicales du Snitem, tout en rappelant que les précédentes radiations, brutales, en 2023, avaient eu de lourdes conséquences.
La crainte d’une dégradation des parcours patients
Car ce sont bien la qualité et la sécurité des soins qui seront impactées par la radiation de la liste en sus de certains DM. Si leur réintégration dans les groupes homogènes de séjours (GHS) fait partie de l’évolution naturelle des dispositifs médicaux, « ce qui pose question, c’est la manière dont cette réintégration est envisagée et, surtout, le niveau de financement associé », pointe le Pr Éric Van Belle, cardiologue au CHU de Lille et président du groupe de travail de cardiologie interventionnelle (GACI) de la Société française de cardiologie.
Sans financement adéquat, les hôpitaux devront donc s’adapter pour préserver leur équilibre économique, mais au prix d’un morcellement des interventions auprès des patients… et donc, d’une dégradation des parcours de soins. Une approche qui fait craindre au spécialiste que les décisions médico-économiques ne priment alors sur les décisions médicales et « qu’on passe d’une logique de qualité et de sécurité à une logique de mieux-disance économique ». Éric Van Belle appelle donc de ses vœux une approche plus nuancée et un accompagnement intelligent de la réintégration, notamment en créant plusieurs GHS selon la complexité des actes.
Vers une rupture d’égalité et de liberté thérapeutiques
Toutes ces inquiétudes sont partagées par les patients, qui seront les premiers impactés par les radiations arbitraires, lesquelles visent notamment les dispositifs implantables. « En effet, la radiation d’une série de dispositifs médicaux de la liste en sus va se traduire par une mécanique de décote redoutable : une première baisse du tarif lors de la radiation, puis une nouvelle baisse à l’intégration dans les GHS », alerte Jean-François Thébaut, vice-président en charge du plaidoyer de la Fédération française des diabétiques (FFD).
Conséquence : des DM qui ne seront plus économiquement viables pour les fabricants, et des établissements qui devront faire des choix selon leur capacité budgétaire. « Nous allons droit vers une rupture d’égalité entre patients selon le lieu de prise en charge », pointe Jean-François Thébaut, qui s’inquiète également des conséquences pour la liberté thérapeutique : « Si le choix du dispositif dépend de critères économiques plutôt que médicaux, le praticien perd la possibilité de proposer à son patient le dispositif le plus adapté à sa situation. Il faut absolument préserver ce principe : le bon dispositif, pour le bon patient, au bon moment – sans que la décision soit dictée par des contraintes budgétaires. »
Un vrai sujet pour l’innovation
Enfin, les conséquences de cette logique ne pourraient qu’être néfastes pour l’innovation. « Les dispositifs les plus récents seront pénalisés dès leur inscription, avant même que les études cliniques en vie réelle aient pu démontrer leur intérêt. Les industriels risquent de ne plus investir dans ces études, faute de perspective de valorisation », poursuit Jean-François Thébaut.
Une crainte partagée par les entreprises du secteur, qui appellent à redéfinir rapidement et collectivement les critères de gestion de la liste en sus et les modalités de réintégration des masses financières dans les forfaits hospitaliers. « Nous sommes favorables à une gestion dynamique, lisible et prévisible de la liste en sus, explique Brigitte Congard-Chassol. Celle-ci doit à la fois garantir l’accès à l’innovation, préserver la qualité des soins et assurer une gestion efficiente du financement du système de santé. »
¹ Les stents coronaires et carotidiens, ou encore les ballons actifs coronaires et périphériques.
² Cosigné par la Fédération des spécialités médicales (FSM), la Fédération hospitalière de France (FHF), la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP-MCO), la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP), la Fédération nationale des établissements de l’hospitalisation à domicile (FNEHAD), Unicancer, le Snitem, l’Association des fabricants importateurs distributeurs européens d’implants orthopédiques et traumatologiques (AFIDEO), France Biotech, mais aussi Les Entreprises du Médicament (Leem).
Pour mémoire
GHM : Un groupe homogène de malades (GHM) regroupe les prises en charge de même nature médicale et économique et constitue la catégorie élémentaire de classification en MCO. Chaque séjour aboutit dans un GHM selon un algorithme fondé sur les informations médico-administratives contenues dans le résumé de sortie standardisé (RSS) de chaque patient.
GHS : Dans le cadre de la T2A, le groupe homogène de séjours (GHS) correspond au tarif attribué à chaque épisode de soins type appelé GHM d’un patient hospitalisé.
